En 1994, l'URSA a 10 ans ; le Papier de verre a demandé au Dr Niox-Rivière, fondatrice de l'URSA, de brosser un historique de l'association et de tirer un bilan de cette première décennie.

Extrait du Papier de verre N° 6 - 1994

L’URSA ?
Une diversité enrichissante

INTERVIEW DU DR NIOX-RIVIÈRE

Le Papier de verre. — Comment est venue l'idée de créer l’URSA ?

Dr Niox-Rivière. A l'époque, nous constations depuis plusieurs années que beaucoup de gens qui sortaient de l'hôpital avaient absolument besoin d'y revenir. Ils nous encombraient dans le service, et gênaient aussi un peu les hospitalisés dans leurs chambres, même s'ils leur rendaient des services. Mais ces personnes avaient un réel besoin de faire des retrouvailles avec ce qu'elles avaient connu. Or, nous étions si petitement logés que cela posait un vrai problème. Je suis allée voir le directeur à plusieurs reprises, et ce n'est qu'au bout de sept ou huit ans que j'ai enfin pu obtenir une salle. C'était l'ancienne blanchisserie, qu'on a bien voulu confier à l'alcoologie. Mais la raison principale, c'est que, devant un patient alcoolique, il y a trois manières d'essayer de l'aider : par la clinique et la neuroscience, par la relation avec le patient, et en lui favorisant la communication. Pour cela, il y a les groupes d'anciens buveurs, c'est vrai, mais beaucoup de gens ont des difficultés à y aller, et puis, c'est extérieur à l'hôpital. C'est pourquoi j'avais depuis longtemps l'envie profonde de créer un endroit, un lieu de vie, où les rétablis pourraient revenir, pour communiquer avec les hospitalisés, et où ils pourraient aussi rencontrer de temps en temps les soignants. J'en ai donc parlé à mes collègues, et nous avons créé, en décembre 1984, cette association loi 1901, qu'après bien des palabres, nous avons appelée Unité pour la recherche et les soins en alcoologie. Elle a à sa tête un conseil d'administration au sein duquel il y a - et je tenais beaucoup à ce point - parité entre soignants et soignés. Puis nous nous sommes demandé quelles seraient les activités que nous pourrions mettre en place.

PdV. — Mais l‘Accueil, le jeudi et le samedi, n'est-il pas né par génération spontanée ?

Dr N.-R. — C'est un peu vrai. On a commencé avec l'Accueil. Ce fut la première activité, qui est restée la principale. On s'était d'abord demandé comment nous allions aménager notre salle. J'ai beaucoup tenu au bar, pour faire un bistrot sans alcool. Il me paraissait important que cela soit un peu convivial. Et on a décidé qu'il y aurait un accueil, qui serait fait par les soignés. Génération spontanée parce qu'il est vrai aussi que le premier conseil d'administration n'avait pas été élu et que des rétablis se sont ensemble désignés, parmi ceux qui avaient une certaine ancienneté.

PdV. — Ces premiers pas furent-ils concluants ?

Dr N.-R. — Pour certains soignants (pas ceux du service, bien sûr), laisser des malades alcooliques gérer eux-mêmes des activités à l'intérieur de l'hôpital, cela paraissait osé. Or on peut dire que tout s'est relativement bien passé. Il n'y a jamais eu de véritable incident.

PdV. — L’Accueil n'est pas resté la seule activité de l’URSA...

Dr N.-R. — On s'est dit qu'en dehors de l'Accueil, il serait nécessaire que les rétablis organisent des groupes de travail. La question était de savoir quel travail entreprendre et qui allait s'insérer dans ces groupes.

« Créer un lieu de vie pour communiquer »

PdV. — C'est ce qui devait justifier l'appellation « unité pour la recherche et les soins en alcoologie » ?

Dr N.-R. — Oui. Et je dirai que les soins ont eu la suprématie sur la recherche.  Nous y reviendrons. Ces groupes de travail, donc, n'ont pas été aussi nombreux que je l'aurais souhaité. Parmi les groupes de travail qui marchent, il y a le groupe de lecture, qui date de 1986. Le principe de ce groupe, le livre comme intermédiaire, me paraissait très intéressant. Parallèlement, nous avons une bibliothèque, qui n'est pas suffisamment fréquentée à mon avis. On a ajouté à la lecture le cinéma en 1987. Il y a aussi le « groupe de mots », animé par M. Audouin. Le groupe de l'entourage survit tant bien que mal, mais le groupe de jeunes n'a pu voir le jour. Il y a également un nouveau groupe de travail, qui collabore avec la Société française d'alcoologie. Et le dernier-né, qui a une originalité, car il a lieu à l'extérieur de l'hôpital : c'est le groupe de randonnée, qui semble avoir des adeptes. Je crois que c'est là une marque de l'évolution. Mais il aura fallu dix ans pour créer un groupe qui ait une activité à l'extérieur de l'hôpital. Enfin, il y a le groupe du journal, qui est très important, parce qu'il y a là, véritablement, un document où médecins et rétablis écrivent, ce qui me paraître l'application de la collaboration entre soignants et soignés, même si ce sont surtout ces derniers qui font le journal. Et puis, il y a eu un certain nombre de manifestations en relation avec l'extérieur. En vrac : une « porte ouverte » en 1987, un concert à l'église de Saint-Cloud, trois éditions des « Automnes de Saint-Cloud ». Nous avons également fait un gros effort pour faire venir des intervenants extérieurs lors de chaque assemblée générale, ce qui nous a permis de mieux connaître d'autres techniques, d'autres thérapies, d'autres praticiens.

PdV. — Qu'est-ce que l’URSA apporte de différent par rapport aux groupes d'anciens buveurs ?

Dr N.-R. — Il n'y a pas de comparaison à faire. Le groupe d'anciens buveurs est structuré, avec des rites, une sémantique, une méthode qu'il n'y a pas à l'URSA. L'URSA est un endroit où les interrogations des uns et des autres sont peut-être plus enrichissantes qu'ailleurs. La connaissance vient des autres. Ce n'est qu'après que l'on fait des réflexions.  Au fond, on se rencontre pour se remplir avec le plein et le manque de l'autre, Or, à l'URSA, l'absence de méthode entraîne aussi moins de similitudes entre les individus et les différences se voient davantage. Et puis, il y a le lieu - l'hôpital, la salle de l'URSA dans cet hôpital - qui correspond à un vécu antérieur. Cela pour le soigné, mais, pour le soignant, l'URSA présente aussi des aspects bien pratiques. On peut y envoyer des gens qui sont venus en consultation et que les groupes d'anciens buveurs effraient encore, le sigle URSA n'étant pas a priori rébarbatif. On les invite à y aller en leur indiquant le prénom de personnes qu'ils pourront rencontrer, ce qui favorise énormément la prise de contact. Et puis, il y a le Papier de verre, qui a aussi une utilité pour ceux qui commencent à se faire soigner. C'est souvent pour eux une révélation.  J'ai personnellement du succès en utilisant ce journal.

« Les soins ont eu la suprématie sur la recherche »

PdV. — Des regrets ?

Dr N.-R. — Nous n'avons pas assez travaillé sur le plan de la recherche, sur l'évolution des soignés et de leur devenir. L'ordinateur n'a pas été utilisé comme on aurait pu le souhaiter. Il aurait été intéressant d'observer les itinéraires avec plus de précision, Nous avons là un matériel humain important et très intéressant, et nous ne l'avons peut-être pas exploité suffisamment. Peut-être par manque de temps ou de moyens. Il y a quand même eu un mémoire fait par une rétablie sur l'Accueil, dans le cadre d'un diplôme universitaire, et un travail épidémiologique réalisé par un interne, mais, dans l'ensemble, nous avons beaucoup privilégié l'aspect humain au détriment de l'aspect recherche. Nous aurions pu, par exemple, tenter de suivre l'évolution de la souffrance du malade alcoolique au sein de l'URSA avec des psychologues. Mais tout cela aurait peut-être changé un peu le climat, car il aurait fallu une plus grande rigueur, ce qui n'est pas vraiment la nature de l'URSA.

« Certains sont partis  avec un bagage important »

PdV. — Finalement, quelle impression vous laisse l’URSA ?

Dr N.-R. — Celle d'un lieu convivial, enrichissant pour tous, une sorte de sas pour les soignés. L'URSA marche bien, elle se renouvelle. Certains sont partis avec un bagage important.  Ils se sont remplis puis sont partis. Pourquoi pas ? D'autres sont assez bien remplis mais ils restent. Et puis il y en a qui ne font que passer, Enfin, il semble que les difficultés qu'il y a eu quelquefois s'aplanissent plutôt qu'elles ne s'aggravent au fur et à mesure que les années passent. Il faut souligner aussi une évolution de l'URSA qui découle d'une évolution générale. Le nouveau système des consultations sur rendez-vous entraîne l'hospitalisation de gens dont les cas sont souvent moins difficiles, des gens qui ont moins de troubles comportementaux, et comme c'est parmi eux que se trouvent les futurs membres de l'URSA, il me semble qu'on retrouve à l'URSA une ambiance plus feutrée, plus calme. Quoi qu'il en soit, je crois que l'URSA est quelque chose d'extrêmement important, en complément de l'unité d'alcoologie de l'hôpital de Saint-Cloud, et les gens paraissent en être contents.

Propos recueillis par Francis et Maurice

 

Dernière mise à jour : 11 décembre 2009