Le petit journal que vous tenez entre les mains a quatorze ans. Un temps suffisamment long pour que la plupart des usagers actuels de l'Ursa n'aient pas connu ses débuts. Nous avons demandé à l'un de ses fondateurs de nous rappeler la gestation et l'accouchement du Papier de Verre.
Extrait du Papier de verre n° 29 - 2006
Par Francis Ambrois
L'idée en avait sans doute effleuré quelques-uns : les échanges étant souvent très riches entre membres de l'Ursa, entre soignants et soignés, entre accueillants et accueillis, il était vraiment dommage de ne pas en conserver de traces écrites. À l'Ursa, la médication, c'est la parole. Ne pouvait-on pas la conditionner en flacons, en tubes, en boîtes, bref, en textes ? Car, en matière d'écrit, on ne disposait que des comptes-rendus des assemblées générales, insuffisants pour rapporter la teneur du formidable lien qui avait permis, qui permettait et qui permettrait encore à de nombreux malades alcooliques de s'éloigner de l'abîme. Cette réflexion, c'est Jacques Vignolles qui l'exprima clairement en suggérant en 1991, lors d'une assemblée générale, la création d'un journal de l'association. Idée accueillie favorablement par l'assemblée et le conseil d'administration. Votre serviteur, travaillant dans la presse magazine, lui proposa son aide, ravi de pouvoir se rendre utile à l'Ursa et, abstinent depuis un an, commençant à comprendre que construire quelque chose pouvait être un bon moyen, parmi d'autres, de se reconstruire soi-même. On appela aussi celles et ceux qui étaient intéressés par l'affaire et des membres du conseil d'administration à nous rejoindre dans une sorte de comité de rédaction constitutif du journal (notre photo) pour faire bouillir les idées. Et le débat commença, autour de trois axes que l'on peut définir ainsi : qui allait faire le journal, de quoi le remplirait-on, et comment allions-nous le fabriquer.
En fait, il apparut très vite que les deux premières questions étaient indissociables, que l'une allait déterminer l'autre, et que le problème était là : ou bien coopter une petite équipe de rédacteurs, et le contenu du journal dépendrait de leur inspiration ; ou bien définir un contenu (une ligne éditoriale et des rubriques), auquel allaient se soumettre des rédacteurs réguliers ou occasionnels. Ceux qui avaient envie de se faire plaisir, d'essayer de montrer leur plus belle plume étaient favorables à la première proposition, et expliquaient que le journal devrait permettre à tout un chacun de s'exprimer sur les sujets de son choix, l'activité valorisante que représente l'écriture participant au rétablissement du malade alcoolique. Ceux pour qui l'essentiel était la fonction du journal (défini notamment comme devant être la vitrine de l'Ursa et de ses activités, un lieu d'expression des rétablis nouveaux et anciens, des alcoologues et des personnels soignants, et un outil d'information sur l'alcool et l'alcoologie) étaient partisans de la seconde proposition.
Vous l'aurez constaté, c'est cette deuxième option qui a prévalu. Le comité de rédaction y a toujours veillé, contraint parfois de refuser des articles ne correspondant pas à la spécificité du journal. C'est ainsi qu'on dû écarter un article sur la météo, malgré ses promesses d'eau, ou encore un récit de voyage au Yémen, au cours duquel notre « reporter » n'avait jamais croisé la moindre bouteille d'alcool (« Mais je pourrais peut-être parler des feuilles de qat qu'ils mâchent toute la journée...»).
Concrètement, nous avons donc découpé le journal en rubriques donnant la parole aux rétablis (« Témoignages »), aux soignants (« Consultation », la double page centrale), et à la vie de l'Ursa. Et, pour ne pas nous épuiser, tarir notre réservoir d'idées et sortir des numéros bâclés ou de qualité moyenne, on choisit de faire douze pages, avec une parution semestrielle. Tant pis, le journal se ferait attendre, et il en serait d'autant plus apprécié. Restait encore à lui trouver un titre. Le Papier de verre fut retenu parmi quelques propositions dont j'avoue ne plus me souvenir. Quant au comité de rédaction, il fut décidé qu'il ne serait constitué que de rétablis (les médecins ne s'étaient d'ailleurs pas bousculés pour y travailler, même s'ils étaient favorables au projet), animé par un « coordinateur de la rédaction » (l'appellation rédacteur en chef avait été écartée à cause de la référence au chef), et devait compter au moins un membre du conseil d'administration de l'Ursa. Légalement, il devait avoir un directeur de la publication. Le président de l'Ursa, le Dr Craplet, se trouvait tout désigné pour assumer ces responsabilités. Et on lui présenta la chose ainsi : « Le journal est fait par des rétablis, mais il est sous votre responsabilité. Pour résumer, c'est vous qui allez en prison. » Le Dr Craplet n'est pas du tout paranoïaque, mais il prend cependant grand soin à relire en détail toutes les maquettes et ses remarques extrêmement pertinentes étaient et sont toujours bien dignes de l'écrivain que nous connaissons aujourd'hui.
Cinq ans plus tard, dans l'éditorial du n° 10, nous tirions le constat que notre ligne avait été respectée : le Papier de verre était bien « un trait d'union entre les adhérents de l'URSA et une vitrine de notre association » et sa formule tout à fait « en adéquation avec notre identité, nos besoins et nos objectifs ». Mais avant d'en arriver au n° 10, il nous fallut éditer le premier numéro. Pour cela, on prit modèle sur une petite revue de poésie, de fabrication modeste (photocopiée) mais à la mise en page soignée. C'était l'époque où la PAO (publication assistée par ordinateur) était presque partout mise en place chez les professionnels de l'édition et devenait aussi le joujou des éditeurs en herbe. Après une visite à un imprimeur qui fit un peu la moue (nous n'étions sans doute pas des clients très intéressants), nous allâmes frapper à la porte des poètes en question qui, pour 3 000 F, acceptaient de nous maquetter un numéro prévu sur douze pages et tiré à 500 exemplaires. Le conseil d'administration valida cette option, considérant alors que le journal, s'il tenait ses promesses, mériterait bien une subvention annuelle de 6 000 F.
« J'avais imaginé, dans ma candeur naïve, qu'une feuille ronéotypée, ménagère des deniers de notre association, serait, au moins dans les débuts, suffisante. C'était compter sans l'ambition - au reste louable - du groupe de travail constitué pour l'occasion », écrivait Jacques Vignolles dans l'éditorial de ce premier numéro. En fait, les deniers furent vite ménagés car un de mes collègues de travail, très au fait de la mise en page informatisée, me proposa de maquetter le journal bénévolement, « pour s'amuser ». Quatorze ans après, je ne sais pas si ça l'amuse encore, mais c'est toujours lui qui « monte » te Papier de verre. Qu'il en soit ici remercié, d'autant plus qu'il n'est pas du tout concerné par les problèmes d'alcool. Et comme la Mairie de Saint-Cloud a accepté de nous photocopier gratuitement le journal (dont le tirage est rapidement passé à 800, puis 1 000 et enfin 1 200 exemplaires) pour la raison qu'il émane d'une association d'utilité publique, il ne coûte à l'Ursa que le prix du papier.
Lorsque le deuxième numéro parut, le Dr Craplet, en fin connaisseur, déclara en substance lors de l'assemblée générale de l'Ursa au cours de laquelle on commença à le distribuer : « En général, un premier numéro est toujours bien accueilli parce qu'il bénéficie de la nouveauté. Mais c'est le deuxième qui est attendu au tournant. Eh bien ! On peut dire : examen réussi. » Là, nous sûmes que nous étions sur la bonne voie, et qu'une grande aventure commençait. Elle s'est poursuivie avec d'autant plus d'enthousiasme que les encouragements des lecteurs ont été nombreux, et ceux des médecins également, dont certains médecins nous déclarèrent se servir du journal au cours de leurs consultations.
L'aventure n'est pas finie. Elle continue avec vous tous, et la porte du comité de rédaction est toujours ouverte. Tous les organes de presse, à un moment ou un autre, s'offrent un toilettage et se relancent en proposant une « nouvelle formule ». Peut-être que le Papier de verre en passera aussi par là. Ce serait l'occasion de reprendre le débat.
Dernière mise à jour : 11 décembre 2009